La presse people est dans le collimateur de la justice

La presse people est dans le collimateur de la justice. 

Avec la complicité d’opérateurs, certains journalistes pillent les e-mails et les boîtes vocales des stars.

presse people


La photo volée de François Mitterrand sur son lit de mort dont Le Monde révélait récemment qu’elle avait été prise par un proche de la famille pour le compte d’une agence de presse people. Des clichés dégradants réalisés par des aides-soignants dans un service de réanimation hospitalier et proposés à un magazine à sensation. Ou encore, la semaine dernière, les quatorze photos prises en prison à l’insu du chanteur Bertrand Cantat, qui a décidé de porter plainte... La presse people est au coeur des polémiques. Et ce au moment où plusieurs magistrats enquêtent sur les manières parfois douteuses d’obtenir des scoops.

Axel Ganz, l’ancien patron de Prisma presse, a été mis en examen en novembre dernier pour « blanchiment d’abus de biens sociaux ». Une confrontation est prévue prochainement. Dominique de Talancé, premier juge d’instruction au pôle financier, à Paris, soupçonne l’ex-PDG du deuxième groupe de presse magazine en France d’avoir fermé les yeux sur l’existence d’une caisse noire servant à payer les scoops de l’hebdomadaire Voici .

Tout démarre en 2001 par un rapport de Tracfin. La cellule de renseignement financier de Bercy a été alertée par La Poste pour des mouvements de fonds suspects sur le compte d’une certaine Michèle M. La soixantaine élégante, « Mimi », comme on l’appelle, est à la tête d’un réseau d’informateurs qui alimente la presse people. Les enquêteurs de l’Office central de répression de la grande délinquance financière ont découvert qu’entre 1997 et 2001 Michèle M., mise en examen depuis avec cinq autres ex-collaborateurs ou responsables de Voici , aurait retiré en espèces plusieurs millions de francs sur son compte postal. De l’argent versé par Prisma, via différents circuits. Voici rémunérait par exemple l’entourage de Michèle M. avec des fiches de paie en bonne et due forme. Ces pigistes virtuels se contentaient d’encaisser l’argent pour le reverser aussitôt à Mimi, qui s’en servait pour payer de la main à la main son réseau d’informateurs.


L’autre astuce était de recourir à une société écran qui facturait des opérations fictives. 


« La presse people a besoin de garantir l’anonymat de ses informateurs, justifie l’avocat Francis Szpiner, dont le cabinet défend Michèle M. C’est le même fonctionnement que dans la police avec les indics, qui ne peuvent pas apparaître dans la comptabilité, au risque de trahir leur identité. »

Mimi, officieusement chef des infos à Voici, est une ancienne gérante de boîte de nuit. Michèle M., qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, se présente aujourd’hui comme une « grand-mère de quatre petits-enfants » qui « n’aspire qu’à la paix et à la tranquillité ». Dans un courrier adressé au Point, elle affirme ne plus s’occuper de la presse people. Ce que contredisent les professionnels du milieu que nous avons rencontrés.

Une chose est sûre, la presse à sensation déteste que l’on visite ses arrière-cuisines. Les auteurs du livre-enquête « Les dessous de la presse people » (1), publié en juin 2006, ont ainsi subi de multiples pressions pour que leur ouvrage très renseigné ne voie jamais le jour.

« La presse people brasse énormément d’argent, du coup des personnes peu recommandables se sont mises sur le créneau , explique un photographe indépendant, l’un des plus renommés du secteur, qui se dit choqué par les dérives de la profession. Quelques paparazzis n’hésitent pas à tendre des pièges aux célébrités pour les prendre en photo dans des situations compromettantes. » L’un des plus controversés en France est le paparazzi Jean-Claude Elfassi. Il fut accusé par Pierre Péan et Philippe Cohen, auteurs de « La face cachée du Monde », d’avoir volé, avant sa publication, le manuscrit de « Mon vrai journal », de Jean-Marie Messier, l’ex-PDG de Vivendi, en novembre 2002. Le Monde en publia les bonnes feuilles. « C’est faux, s’insurge le paparazzi, qui a attaqué en diffamation Péan et Cohen devant le TGI de Toulouse - l’affaire est toujours en cours. J’ai acheté le livre dans une librairie en Basse-Normandie, où il était distribué une semaine avant sa sortie parisienne. » Elfassi fut également soupçonné de ne pas être étranger au vol du brûlant carnet d’adresses d’Alfred Sirven, l’ancien numéro deux d’Elf, recherché en 2001. Caché dans une villa aux Philippines, Sirven avait été mystérieusement cambriolé. Et le carnet se retrouva dans Paris Match . Ce que dément encore une fois Jean-Claude Elfassi, qui a bénéficié d’un non-lieu dans cette affaire. Et le photographe de s’inquiéter lui-même des dérives actuelles : « On croise désormais dans la profession d’anciens policiers et gendarmes, et des jeunes des cités prêts à tout pour se faire de l’argent. »

A Los Angeles, ce sont de véritables gangs spécialisés en 4 x 4 qui traquent les stars, n’hésitant pas à provoquer des accidents pour faire des photos. En France, tout le monde se souvient du traquenard dont a été victime Daniel Ducruet, l’ex-mari de Stéphanie de Monaco. Pour l’occasion, les deux photographes avaient loué les services d’une jeune femme afin d’immortaliser ses ébats avec le mari de la princesse. Des clichés torrides qui avaient trouvé preneur dans deux journaux étrangers pour 250 000 et 300 000 francs et provoqué le divorce du couple. Quant aux paparazzis, ils ont écopé d’une peine de prison avec sursis.

Risques calculés

Depuis, le prix des clichés volés s’est envolé et la ligne rouge a été repoussée encore plus loin. « Aujourd’hui, les risques sont calculés par les publications. Elles jaugent le prix à payer pour les scoops, les dommages et intérêts à verser aux stars, qui ne manqueront pas de porter plainte, et enfin les énormes ventes qu’elles peuvent espérer faire avec ces informations exclusives », poursuit l’avocat Francis Szpiner. En janvier, le magazine Choc a reproduit des extraits vidéo de la chanteuse Amel Bent en pleine séance d’effeuillage. Un strip-tease qui aurait dû rester privé si le téléphone portable de la star sur lequel la scène était enregistrée n’avait pas disparu lors d’un cambriolage.

Les photos valent de l’or, mais les infos aussi. Pour les moissonner, quelques journalistes ne se contentent plus d’avoir des indics dans les compagnies aériennes, les grands hôtels ou l’entourage des stars, ils ont désormais recours à des méthodes dignes de barbouzes.

Dans une affaire d’injures et menaces qui oppose une journaliste à deux confrères, on peut lire sur la plainte datée du 20 octobre 2006 qui a déclenché une enquête préliminaire : « Ces deux personnages sont connus pour avoir des méthodes peu recommandables dans le milieu de la presse, et ils ont des contacts auprès d’opérateurs téléphoniques, ce qui leur permet d’espionner qui bon leur semble, anonymes ou personnalités connues. » Au cours de son enquête, Le Point a en effet constaté que certaines indiscrétions sorties dans la presse people sont directement volées dans les boîtes à lettres électroniques des stars et dans leurs boîtes vocales. « Quelques-uns d’entre nous disposent d’informateurs chez les opérateurs téléphoniques, confie un pilier de la presse people. Pour 100 euros, vous avez le numéro sur liste rouge de n’importe quelle star avec son adresse. Pour 300 euros, la facture détaillée de tous les appels entrants et sortants. Et pour un peu plus vous récupérez le contenu des e-mails ou les codes secrets qui permettent d’écouter à distance les messageries téléphoniques. »

Tout circule

Nous avons ainsi eu entre les mains le listing téléphonique d’une star du football qui passe ses journées de détente sur les messageries très hot . Ou les confidences par mail de ce réalisateur connu faites à sa mère après une rupture amoureuse, ou encore ses échanges avec sa nouvelle conquête, une chanteuse célèbre. « Quand on veut savoir si une star triche sur son âge, il suffit de demander à son contact chez l’opérateur la date de naissance qui figure dans l’ouverture du compte », explique une pigiste. Des méthodes qui ne sont pas uniquement françaises. Récemment, un journaliste anglais fut condamné à quatre mois de prison pour avoir piraté la boîte vocale de collaborateurs des princes William et Harry.

En octobre 2006, Entrevue publie un dossier intitulé « Stars sur écoutes ! », où le magazine explique que les people sont victimes d’écoutes téléphoniques sauvages. Un mystérieux inconnu aurait déposé à la rédaction les enregistrements piratés de la chanteuse Carla Bruni, du comédien Guillaume Canet, du chanteur Pascal Obispo, du producteur Valery Zeitoun ou encore de Patrick Bruel, dont le journal reproduit les extraits. Un article qui a donné lieu à plusieurs plaintes contre X avec constitution de partie civile pour violation de la correspondance et à une citation directe contre le journal. « Je me suis sentie violée dans mon intimité , se souvient l’une des stars victimes de ce piratage. Depuis, je change régulièrement les codes d’accès à la messagerie de mon portable, mais je ne me fais pas d’illusions, l’espionnage va continuer. »